67 % des Français l’ont choisie ! A l’heure de faire les comptes, les Français ne se laissent décidément pas distraire par le superflu.
Le Parisien, 26 et 27 novembre 1999
La tendance fin de siècle serait donc au basique : si la couche-culotte fut l’objet qui a laissé le plus profondément son empreinte dans la société (voir notre édition d’hier), son équivalent chez les voitures tient lui aussi du simple, et du pratique : la Citroën 2 CV.
Étonnante, cette unanimité autour d’une automobile qui ne symbolise pas forcément, à première vue, la modernité et dont la ligne ronde et sage est encore associée, dans la mémoire collective, à la soutane de Mgr Marty ou à une bande de jeunes chevelus roulant facilement à 80 à l’heure vers le fest-noz le plus proche. Certes, et c’est logique, le succès de la Deuche est encore plus écrasant parmi les agriculteurs (84 % d’entre eux l’ont élue voiture du siècle) et les plus de 65 ans (69 %). Mais, plus étonnant, la 2 CV, avec ses ailes avant systématiquement cabossées (gauche et droite indifféremment), est aussi un animal politique.
Conçue dans la rumeur qui allait donner naissance au Front populaire, la voiture du peuple continue de « cliver », comme on dit dans les instituts de sondage : seuls 58 % des sympathisants RPR la préfèrent, alors que le score est porté à 76 % chez les proches du Parti communiste! La 2 CV constitue même un mythe parmi les jeunes : les 18-24 ans, que l’on croyait plutôt élevés à la tétine de la Nintendo et de la techno, la placent eux aussi, et de loin, à la première position. La 2 CV était à l’origine conçue pour transporter « deux cultivateurs en sabots, 50 kilos de pommes de terre ou un tonnelet de vin à une vitesse de 60 km/h pour une consommation de 3 litres aux cent ». Sabots, pommes de terre et tonnelet de vin : une poésie d’un autre âge, une « douce France » sortie tout droit d’une chanson de Trenet et dont l’incarnation automobile laisse toutes ses concurrentes loin derrière.
Philipe DUPORT.
Classement
La 2 CV : 67 %
La Coccinelle : 23 %
Le Renault Espace : 22 %
La 4 L : 18 %
La DS : 15 %
Le camping-car : 9 %
La Porsche 911 : 7 %
La Jeep : 5 %
La Rolls-Royce : 4 %
L’Austin Mini : 3 %
Ne se prononcent pas : 2 %
Sondage exclusif CSA – « le Parisien » – « Aujourd’hui », avec la Cinquième, réalisé les 26 et 27 novembre 1999 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 016 personnes, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et taille d’agglomération. Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner trois réponses.
De la Coccinelle à la 4L : le goût du rustique
Avec les 2 CV, Coccinelle, 4L, DS, le hit-parade des voitures du siècle joue un air de nostalgie. Au moment où les dernières voitures du haut de la gamme savent déjà surfer sur Internet, dénicher une table au meilleur rapport qualité-prix dans la prochaine bourgade, appeler maman et prévenir qu’on sera en retard pour dîner, détecter au loin un chevreuil suicidaire, ralentir l’allure et éviter le désespéré, calculer qu’avec la manif des pilotes de ligne à Trocadéro il vaut mieux prendre les quais et repiquer par la Concorde (rien de tout cela n’est inventé)… c’est ainsi, les Français restent attachés au rustique.
La voiture, un objet qui a changé la vie
Si l’on se moque souvent des hommes et de l’histoire d’amour qu’ils entretiendraient avec leur voiture, force est de reconnaître que leurs favorites sont d’un âge plutôt mûr. A la fanfreluche, ils préfèrent la sobriété d’une 4L. A la frime d’une mythique Ferrari 250 GTO rouge sang (même pas classée), ils répondent par la logeabilité du Renault Espace (plus pratique, il est vrai, pour partir en Normandie le vendredi soir avec ses trois enfants et le chien). Au bout du compte, si l’on additionne : 2 CV, 4L, Espace, camping-car et Jeep, on obtient un résultat instructif sur l’idée que se font les Français de leur voiture. Il s’agit pour eux bien plus d’un objet utile, voire utilitaire, qui leur a changé la vie.
Logeable, sobre, pas cher et tout-terrain. Une sagesse d’ailleurs parfaitement partagée entre les hommes et les femmes, qui pour une fois ne se disputent pas le volant et votent pour les mêmes modèles. Les créateurs de concept-cars, ordinateurs à roulettes fuselés comme des Concorde, pourraient peut-être y réfléchir.