Nos voitures cultes… C’est la deuche, la deudeuche, la deux-pattes. La Citroën conçue pour la campagne et qui a terminé en citadine branchée, la décapotable la moins chère du marché que personne ne décapotait (alors que c’était tout simple). Une icône de la France, avec le béret, la baguette de pain et la tour Eiffel. Que le cinéma américain s’évertue à placer (avec la DS) dans chacun des films dont l’action se déroule en France. Même si le film se passe aujourd’hui, à une époque où la 2CV a depuis belle lurette déserté nos rues et ne constitue plus, aux yeux des plus jeunes, qu’une amusante curiosité.
42 ans de carrière
Un jour en 1990, Citroën a cessé de produire la 2CV. Personne n’en revenait et l’annonce méritait bien une petite larme. Car la 2CV, plus encore que les Renault 4CV et « 4L », a mis la France d’après-guerre sur quatre roues pour de bon. Elle était immortelle. Plus grand-monde ne l’achetait mais personne ne voulait qu’elle disparaisse. Chaque année, elle figurait dans le catalogue Citroën, immuable alors que le monde continuait d’avancer. Direction assistée ? Verrouillage centralisé ? Vitres électriques ? Et pourquoi pas un essuie-glace arrière ou une climatisation ? La 2CV n’avait rien. C’était normal à sa sortie en 1948. C’était pur snobisme à la fin de sa carrière.
Un univers à part
Les vitres avant qui pivotent de bas en haut (puis retombent de haut en bas sur le bras accoudé à la portière) et ses vitres arrière… fixes. Son levier de vitesse en boule planté dans la planche de bord. La barre du milieu de la banquette arrière qui punissait le passager du centre. Les poignées de portes qui tournaient dans le vide une fois verrouillées : la 2CV était unique jusque dans ses moindres détails. Ces détails qui parlent à tous ceux qui ont connu la 2CV, qui sont un jour montés dans cette voiture si mollement suspendue qu’elle est la seule à ne pas s’être rendu compte de l’installation des ralentisseurs dans les années 1980. À cette époque, il est à peu près certain que tout le monde, en France, avait une histoire de 2CV dans sa famille.
Mais au fait, faut-il vraiment la regretter ? Faut-il regretter cette voiture jugée fort laide à sa sortie ? Dont le train avant avait du mal à passer une si modeste puissance (29 ch à la fin) ? Qui freinait à peine et dont la lourdeur de la direction laissait penser que la 2CV pesait au moins quatre fois sa demi-tonne ? Cette voiture bruyante et poussive, qui n’éclairait rien la nuit, dont les essuie-glace ne balayaient rien sous l’eau ? Dont les sièges en skaï brûlaient l’été ? Dont les panneaux de carrosserie droits et le châssis antique donnaient l’impression que l’engin allait se disloquer sur les plaques d’égout ? Et qui, contrairement à ce qu’en disent ceux qui l’ont idéalisée, n’avait rien de si économique : 44 800 francs en 1989 pour une Charleston, contre 46 600 francs pour une « moderne » Renault 5 Five qui consommait 20 % de carburant en moins.
Un morceau de l’histoire automobile française
Il ne faut assurément pas regretter ses prestations. Mais, comme une Coccinelle, une Mini, une Fiat 500 (les « vraies », pas les lourdes copies embourgeoisées des années 2000), la deux-pattes représente une époque et son pays. Elle était la voiture pour tous, sans distinction de classe sociale. Que l’on soit campagnard ou citadin. Que l’on soit ric-rac pour se l’offrir ou que l’on possède déjà une autre voiture, comme le suggérait ironiquement un autocollant souvent posé sur son postérieur : « mon autre voiture est une Rolls ». Une voiture anti-frime, toute simple, à la fois si belle et si moche, qu’il serait vain d’essayer de faire revivre. La 2CV est partie voilà plus de 20 ans déjà. Citroën est passé à autre chose, et c’est sûrement très bien comme ça, même si certains ont vu dans la C3 de faux airs de la plus culte des voitures françaises.
9 ch et 60 km/h en pointe
Elle sortira finalement avec ses deux gros yeux ronds. Cette drôle de bouille est tripotée et balancée sur ses molles suspensions par les visiteurs du salon d’octobre 1948, mais sa mécanique reste quelque temps secrète. Il s’agit d’un 2 cylindres à plat d’une cylindrée de 375 cm3 libérant 9 ch et permettant au petit bolide de 495 kg de s’accorder un « bon » 60 km/h en pointe. En 1950, une brochure publicitaire trouvera toutefois bon de préciser : « c’est une vraie voiture ».
Montée en cadence laborieuse
Arrivant un an après la 4CV de Renault, la 2CV va à ses débuts souffrir d’une montée en cadence fort laborieuse: moins de 1 000 exemplaires produits en 1949, à peine plus de 6 000 en 1950. La matière première reste difficile à trouver en cette période d’après-guerre et Citroën ne s’est, par ailleurs, pas permis de constituer un stock avant le lancement de sa voiture. Les délais de livraison dépassent rapidement… cinq ans !
Au Salon de Paris d’octobre 1950, la fourgonnette fait son apparition. Son succès sera énorme mais ses débuts sont tout aussi lents que pour la berline dont Citroën a déjà du mal à augmenter les cadences. À partir de 1955, c’est d’ailleurs Panhard, alors en difficulté financière, qui assemblera cette version utilitaire.
12 ch et 80 km/h en 1954
Pour suivre à son rythme (et à distance) l’évolution des performances des voitures des années 1950, la 2CV reçoit un 425 cm3 de 12 ch à partir de 1954. La vitesse de pointe s’envole à 80 km/h pendant que la production annuelle dépasse désormais les 50 000 unités.
Présentée au printemps 1958 mais commercialisée à partir de 1959, la 2CV 4×4 ne manque pas d’idées : elle dispose de deux moteurs, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, chacun activant un train de roues, deux embrayages centrifuges permettant d’entraîner les deux boîtes de vitesses commandées par un seul levier. Architecture improbable certes, mais la 2CV Sahara, c’est son nom, restera quand même au catalogue jusqu’en 1967.
Pour 1961, la 2CV délaisse son capot en tôle ondulée pour cinq larges nervures qui ne la quitteront plus. Un petit coup de jeune qui arrive au bon moment car Renault sort sa R4 cette année-là.
La Dyane perçue comme une imposture
Puis arrive, à l’automne 1967, une certaine Dyane qui aura la prétention d’imaginer qu’elle pourra succéder à la 2CV. Ses lignes prétendument plus modernes, son équipement moins chiche et ses performances plus élevées, apportées notamment par l’adoption du moteur 602 cm3 de l’Ami 6 (qui ne profitera à la 2CV qu’à partir de 1970) ne lui permettront pourtant jamais d’atteindre son objectif. Elle s’éteindra en 1983, sept ans avant celle qu’elle était supposée remplacer… Un deuxième modèle basé sur la 2CV apparaît en mai 1968 : la Méhari, petite voiture de loisirs vaguement tout-chemin (qui n’offrira 4 roues motrices qu’à partir de 1979) habillée d’une carrosserie en plastique.
Un classique à l’égal de la Coccinelle. Comme la Coccinelle, la 2CV passe les années sans chercher à s’embourgeoiser ou à sophistiquer sa mécanique. Sa simplicité, son coût d’entretien alors modique et son allure anti-frime en font presque une star pendant les années hippies… Ce n’est sans doute pas pour rien qu’à la fin de sa carrière, son premier marché sera l’Allemagne, où la clientèle pleure la disparition de la Coccinelle. Succombant (sans y croire) au design des années 1970, la 2CV s’essaie toutefois aux phares rectangles à partir de 1974. Une volonté de faire moderne qui finira par lasser. Les dernières 2CV seront revenues depuis longtemps aux phares ronds.
Fin de carrière au Portugal
1980 : c’est l’année de la Charleston, avec ses belles couleurs rétro grenat et noir. D’abord série limitée puis intégrée au catalogue, elle sera aussi déclinée en jaune puis gris. La deux-pattes usera alors, sans en abuser car c’était comme un jeu, de séries spéciales toutes plus colorées les unes que les autres, notamment sous l’appellation Dolly. Les évolutions techniques ne sont en revanche plus au menu et la 2CV semble comme figée dans le catalogue Citroën. La petite voiture icône des écolos n’aura même pas eu droit à un pot catalytique ! La production, délocalisée au Portugal en 1988, cessera définitivement le 27 juillet 1990. Snif !