Le match Ferrari-2CV AZAM

Source : L’Automobile n°227 mars 1965

Quelle drôle d’idée que de vouloir opposer une 2cv AZAM à une Ferrari 330 GT. Ceci s’adresse à tous ceux qui ont rêvé un jour de vitesses de pointes illégales et de moyennes horaires prohibées, si toutefois les Dieux bienveillants de la Française des Jeux leurs déposaient les millions convoités dans leur porte-monnaie.
A tous ceux encore qui, roulant derrière une 2cv ont pesté haut et fort contre ce crétin en deux pattes, leur faisant porter la responsabilité de leur trop long trajet et de leur énervement. Ce parcours, réalisé en 4 étapes, nous montre que notre petite 2cv n’est pas ridicule face à la belle et puissante italienne. Je pourrai même dire que proportionnellement elle s’en tire mieux que sa consoeure transalpine.

1ère étape Paris – Saulieu
2ème étape Saulieu – Lyon
3ème étape Lyon – St Andiol
4ème étape St Andiol – Nice

Au total 934 km vaillamment bouclés par notre petite 2cv.

Bien sûr, sans être une aventure égale à la croisière jaune, ou noire, il n’en demeure pas moins qu’une bonne forme physique est la bienvenue pour réaliser un tel trajet avec une 2cv.

La confrontation à laquelle nous nous sommes livrés sur Paris-Nice avec deux voitures choisies aux extrémités de l’éventail de la production mondiale s’est révélée pleine d’enseignements quant à l’alliance nécessaire entre les techniques de même degré d’évolution.

De quelle utilité en effet peuvent être les 300 ch. d’une Ferrari en dehors des autoroutes qui seules qui permettent de leur lâcher la bride? De quelle utilité, à l’inverse, seraient des autoroutes ou voles rapides de même nature si le parc se composait exclusivement de véhicules analogues dans leur conception générale à la 2 CV Citroën ? Ces « petits bouts d’autoroute », ils représentent à peine 180 km sur la route du soleil, laquelle, ne l’oublions pas, figure comme l’artère la plus fréquentée de France. Le, compte rendu qui va suivre mettra pour vous en lumière combien peu sensiblement l’horaire de marche d’une populaire voiture évolue au long du parcours, alors que celui d’une Grand Tourisme est au contraire absolument révélateur du coefficient, sans cesse variable, du modernisme de l’équipement.

Sans crainte de nous répéter, ne manquons pas de rappeler que la, totalité de l’itinéraire s’est effectué en observant un sacro-saint et craintif respect à l’égard du Code de la Route, dont l’existence nous était, au demeurant, assez fréquemment évoquée par la présence de gendarmes. Sur le plan mécanique, nos deux voitures étaient rigoureusement de série et devaient, tout au long de l’essai, n’utiliser que lubrifiant et carburant couramment commercialisés. En ce qui concerne l’aspect… disons humain, nos équipages étaient des plus conventionnels (et notre modestie ne devrait d’ailleurs point en souffrir). Nous étions quatre, tous naturellement grands amoureux du volant et gros mangeurs de kilomètres par profession.

A bord de la 2 CV, Etienne Moity, jeune et vaillant pilier de notre équipe d’essais. Il était assisté, dans sa laborieuse entreprise, par François, notre photographe qui se dédoublait, pour la circonstance, en chronométreur. Dans la Ferrari, notre directeur J.-C. Moulin, conscient de l’intérêt de cette expérience et curieux quant à sa conclusion, avait pris la place du passager. L’auteur de ces lignes, plus heureux sur la Nationale 7 qu’à son bureau, en prenait avec joie, mais humblement, le volant.

Pour que le coefficient fatigue intervienne -valablement (étant entendu que partant nous savions fort bien que nous n’arriverions point aux dangereuses frontières de l’épuisement), nous devions décider de ne point changer de conducteur. Cette méthode devait également, par la suite, nous permettre de mieux cristalliser nos impressions respectives et d’en tirer ainsi plus facilement la leçon.

Afin d’affronter un trafic normal, nous quittions Paris dans la matinée.

« Et c’est parti! ». La traversée de Paris ne noue apprend rien que nous ne sachions’ déjà. La facilité de progression urbaine d’une voiture est conditionnée par son gabarit et non par sa puissance et dès l’arrivée à Nice nous constatons que la 2 CV a été dans les traversées de villes plus véloce que la Ferrari de presque 5 km/h.

Cela dit, revenons à l’entrée de l’autoroute du Sud, faiblement encombrée, mais sur laquelle flotte une brume très légère. Nos deux camarades « déchaînent » toute la puissance de leurs 18 ch. S.A.E. qu’il leur faut d’ailleurs aller chercher à 5 000 tr/mn. Quant ‘à nous, souverainement
méprisants, la puissance de notre attelage (300 ch. S.A.E. à 6 500 tr/mn) nous interdit tout gaspillage d’énergie inutile.

La 2 CV atteindra Fontainebleau à 92 km/h, ce qui est déjà très prometteur. Pour la Ferrari, il suffit d’ajouter 100 km/h à la moyenne de la première nommée afin d’obtenir la vitesse réalisée. Dès la sortie de la ville, nous rencontrerons un léger crachin accompagné d’un brouillard assez dense et cela presque jusqu’à Joigny. Toujours très guillerette et « dans le vent », la 2CV ne ralentira point. A bord de la Ferrari, nous adoptons une vitesse de marche réduite, nous faisant ne pas dépasser 140 à 150 km/h.

Peu après Joigny, nous retrouvons une chaussée, parfaitement sèche. Nous traversons Auxerre à faible allure. Sur l’autoroute, un vent de travers, particulièrement violent, ne nous permettra pas d’élever notre moyenne sur ce tronçon à  péage à plus de 186,9 km/h ; La 2 CV devra, elle aussi, se contenter de chiffres plus faibles mais réalisera néanmoins un 82 km/h fort honorable. A Saulieu, nous ravitaillons sans empressement et bavardons quelques instants avec nos amis moins favorisés. C’est ensuite Tournus, puis Mâcon que nous traversons à moins de 30 km/h. Notons qu’auparavant nous avions traversé le passage de la Rochepot, fortement gravillonné, sur plusieurs kilomètres. Bien avant Lyon, nous  sommes littéralement bloqués dans de longues files de camions aussi poussives que fumantes. La chaussée porte encore les cicatrices profondes de ses plaies hivernales et nous ne pouvons pratiquement jamais dépasser le M Insensible à ces préoccupations de bourgeois, la 2CV nivelle toutes les difficultés en digérant stoïquement et bruyamment ornières et nids de poules à 90 km/h sans jamais connaître la moindre inquiétude.

Ce tronçon au revêtement défoncé, à l’écoulement du trafic très lent, eût été sans doute déjà insuffisant à la fin du Moyen-âge pour assurer une circulation normale aux carrosses. On ne s’étonnera donc point qu’au terme de cette deuxième étape, la Ferrari, mise dans l’impossibilité d’extérioriser sa vraie personnalité, ne touche au but qu’à 90,8 km/h. Plus indifférente aux maladies du revêtement, plus adaptée aussi sans doute au réseau des pays – sous-développés – sur le plan routier, la 2 CV arrive très gaillardement à la moyenne de 71,10 km/h. La traversée de Vienne est particulièrement lente, mais par un curieux hasard, nous retrouvons des la sortie une route complètement dégagée et sur 23 km nous roulerons à plus de 200 km/h.

Hélas, à la hauteur de Valence, nous retrouvons le lent cheminement de files interminables de poids lourds. Docilement, nous progressons par bonds rapides mais malheureusement très courts. A ce Petit jeu du dépassement, notre Ferrari se révèle le plus merveilleux engin routier qu’il nous ait été donne de conduire. Souplesse, puissance, déchaînement instantané des 300 ch. nous permettent d’évoquer une fois de plus tout ce que la sécurité doit à la course. Loin derrière, l’équipage de la 2 CV est partagé entre la résignation et l’énervement. L’approche de Montélimar sonne le glas de tout  espoir de moyenne valable. Ce ne sont plus des bouchons que nous rencontrons, mais un véritable barrage. Dans la 330 G.T., nous nous laissons Peu à peu envahir par l’amertume alors que dans ‘habitacle de la 2 CV on relève les premiers signes avant-coureurs de la dépression nerveuse Légère et partielle amélioration peu après la sortie de la cité du nougat.

« Nous ravitaillons à St-Andiol et poursuivons notre marche… »

Nous traversons Aix-en-Provence à des allures de touristes. Abstraction faite de la portion d’autoroute, la chaussée qui nous conduit à Nice est en fort mauvais état. Les traversées de villages sont beaucoup trop étroites et nous pouvons, en de nombreuses circonstances, admirer la dextérité et le sang-froid de nos amis les routiers lorsqu’ils doivent croiser dans ce tortueux et dangereux dédale un de leurs collègues. L’autoroute de l’Esterel approche. Pour nos amis en 2 CV, c’est un peu l’entrée en «Terre Promise». Quant a-nous, nous ne connaissons qu’un peu de regret de devoir déjà abandonner l’extase procurée par la conduite de la 330 G.T. Nous abandonnons nos considérations aux portes du péage de  l’autoroute… et notre argent à la sortie.

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